Minata KONATE
Etudiante ENSUP
Tél : 89727485
Bamako
Charte de Kurukan Fuga : acte fondateur et socle de l’unité du peuple Mandingue ?
Les représentants du Mandé traditionnel et leurs alliés, réunis en 1236 à Kurukan Fuga actuel cercle de Kangaba (République du Mali) après l’historique bataille de Kirina ont adopté la charte pour régir la vie du grand ensemble mandingue. Cette charte est une partie de l’histoire de l’Afrique médiévale, l’empire du Mali à travers l’un des épisodes les plus significatifs de sa fondation : la constitution de l’empire Mandingue ou « la Charte de Kurukan Fuga ». Le Professeur Djibril Tamsir NIANE dans son titre livre « l’ Epoque Mandingue» a parlé de « Kurunkan Fuga ou le Partage du Monde ».
Kurukan Fuga a posé les grands principes devant régir la vie du grand peuple manding dans toutes ses composantes et sur tous les aspects : l’organisation sociale, les droits et devoirs de la personne, l’exercice du pouvoir, les droits patrimoniaux et extrapatrimoniaux, la place des femmes dans la société, la famille, la culture de la tolérance, la gestion des étrangers, la préservation de la nature, la conservation et la transmission de l’histoire, la gestion des conflits, l’économie, la culture,gestion juridique, environnemental.
Les délégués convoqués pour la Charte étaient les représentants des tribus qui devaient plus tard constituer les douze provinces de l’empire. Les femmes n’étaient pas en reste dans le rassemblement parce qu’elles y prirent une part à travers leurs représentantes. La séance était présidée par le roi des Bobos. A ces délégués, il faut ajouter les représentants familles princières et les tribus des marabouts et des nyamakalas ( les gens de caste).
Le premier acte de l’assemblée de Kurukan Fuga après le cérémonial d’ouverture fut :
1-le serment d’allégeance de douze chefs de provinces à Soundiata KEITA qui fut proclamé Empereur du grand manding (la 1ère fédération des peuples noirs venait de naître : l’Empire du Mali) ;
2- Des discussions furent ouvertes à l’issue desquelles une Charte de 44 articles fut adoptée.
Cette Charte mieux malgré les déclarations postérieures a résisté au temps et aux vicissitudes de l’histoire (traite des noirs, colonisation…). La Charte continue de régir de nos jours tous les peuples ayant appartenu au grand manding, du moins en ce qui concerne l’organisation de la société, la division du travail, la gestion des conflits, l’hospitalité, la coexistence pacifique et la tolérance.
Trait d’union entre les peuples Mandingues, cette Charte est l’acte fondateur et le socle de l’unité de ce qui deviendra l’un des plus grands et puissants Empires de l’Afrique Noire, sur les plans économique, social et culturel. Au moment où le continent africain est de nos jours sujet a des tribulations de toutes sortes, s’interrogeant à bon droit sur son avenir, remettre au goût du jour cet instrument pourrait qui ne semble pas inutile. La Charte ouvre donc de nombreuses perspectives pour repenser l’organisation sociale, politique, économique et culturelle de l’Afrique moderne.
Le socle du grand Manding est incontestablement le Sanankunya qui a survécue depuis des siècles et qui continue à régir encore la vie sociale est l’Article 7 qui stipule : il est institué entre les « Mandenkas le Sanankunya » (cousinage à plaisanterie) et le «Tanamanyöya » (forme de totémisme). En conséquence, aucun différend né entre ces groupes ne doit dégénérer, le respect de l’autre étant la règle.
Le Sanankunya ou cousinage à plaisanterie a un champ d’action plus étendu parce qu’il est intimement lié au nom patronymique des clans concernés. Les cousins à plaisanterie ont tous les droits et peuvent tout se permettre, à la limite de la décence bien évidemment. Ils n’ont pas besoin de se connaître d’ailleurs et la seule évocation de leurs patronymes respectifs suffit à décrisper les situations les plus délicates.
Au Mandé le Sanankunya ne fut pas un phénomène imposé à telle ou telle tribu vis-à-vis de telle ou telle autre. Il s’est établi selon les affinités entre les clans et les tribus au fil de leur existence quotidienne et a fini par s’imposer avec le temps. Au même moment, il a fini par imposer une ligne de conduite, une discipline à plusieurs générations de mandénkas, même après la désintégration de l’empire mandingue.
Aujourd’hui encore, dans tous les peuples de culture mandingue, principalement au Mali, en Guinée et au Sénégal, le Sanankunya demeure une arme extrêmement efficace pour la gestion des conflits entre les communautés. Si le Sanankunya avait pu s’établir entre les Etats, il aurait résolu beaucoup de conflits. Il nous appartient à nous africains de tirer bon parti de cet élément inestimable de notre culture lequel n’existe nulle part ailleurs pour essayer d’asseoir les bases d’une forme authentiquement africaine de gestion de nos conflits. Aussi, des principes d’organisation et de gestion administrative édictés dans la Charte peuvent aujourd’hui aider certainement à résoudre certaines difficultés auxquelles les processus de décentralisation sont confrontés dans nos pays.
Ceux qui sont dans une relation sanankuya peuvent se traiter comme des cousins ou des membres de la famille proche avec lesquels des blagues familières ou des insultes humoristiques sont échangées. Il est considéré comme un élément essentiel de la société mandé. Sanankuya a été ordonné comme un devoir civique dans le Kurukan Fuga, la constitution orale de l’ empire du Mali en 1236. De plus, la coutume des parents non sanguins de s’accorder mutuellement le statut des relations familiales peut découler de cette coutume.
Pour l’étranger qui pénètre pour la première fois dans l’aire mandingue, le sanankuya passe totalement inaperçue s’il ne prend pas la peine d’apprendre réellement les langues mandingues. Le premier signe du jeu des sanankuya vient tout d’abord, et dès l’arrivée de l’étranger, du choix d’un nom et d’un prénom manding attribué à celui-ci par les habitants.
Au-delà de l’amusement et de la surprise, cet acte est bien plus important qu’il n’y paraît : il signifie que l’étranger ne peut pénétrer le tissu social et symbolique qu’en passant par un nom qui le place d’emblée dans le jeu des relations interpersonnelles et qui va lui permettre de vivre, échanger et communiquer avec les autres. Sans ce nouveau nom, il n’est rien, il n’est relié à rien dans le monde manding, il reste donc étranger. À l’inverse, par cette volonté, ce désir de le situer dans la société en le plaçant dans une lignée, dans une famille, voire une « caste », on manifeste la nécessité vitale de créer une place sociale et symbolique à l’étranger pour éviter son exclusion de la communication et des relations sociales.
Le sanankuya touche deux ou plusieurs lignages liés par un pacte d’alliance de sananku établi et qui se transmet de génération en génération. En fonction de ce pacte, de cette alliance, peut s’actualiser à tout moment dans le quotidien. Dans un premier temps, le sanankuya se manifeste verbalement sous forme de plaisanteries ou de joutes verbales ou physiques entre deux ou plusieurs personnes dont les noms sont en relation.
Si le rôle de médiation sociale du sanankuya est indiscutable, la confusion entre parenté et cousinage puis entre lignage et ethnie est par contre très problématique, puisqu’elle renvoie à une vision homogénéisante issue de l’idéologie occidentale.
Le sanankuya constitue dans ce cadre des passerelles et des réseaux complexes entres les individus liés originellement ou pas par leur jamu. Ces relations publiques inter-lignagères, que la colonisation et la catégorisation occidentale ethnique empêche de comprendre, existaient bien avant la colonisation.
Si le sanankuya sont un des rares éléments qui permettent de marquer le fonctionnement identitaire constitué comme pluriel et mouvant dans la zone mandingue. Une pratique comme le sanankuya donnée généralement comme traditionnelle, culturelle et ancestrale est en fait le fruit d’un ensemble complexe de constructions politiques étendues à plusieurs régions et dont les incidences sont autant subjectives que sociales.